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22/03/2024 03:17
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Fabien Ferré : «Mes 3 étoiles au Michelin, c’est comme un tsunami»

Plus jeune chef «3 étoiles» de France, l’Autunois Fabien Ferré se confie dans une longue interview. Il parle de son enfance dans la pâtisserie, de ses 10 années de rugby qui l’ont façonné… Plus jeune 3 étoiles au monde, il veut rester humble. «Ma cuisine c'est une cuisine simple, c'est juste des produits», dit il en rendant hommage aux maraichers, aux pêcheurs, aux vignerons, nos paysans, qu’il soutient. Il parle du gratin dauphinois, du poulet grillé de sa grand-mère, et des vins de Bourgogne…
En décrochant 3 étoiles d’un coup pour son restaurant «La Table du Castellet» dans le Var, Fabien Ferré a décroché le graal à 35 ans. Il est le plus jeune chef 3 étoiles au Michelin au Monde.
Il nous a reçus longuement au Castellet, pour une longue interview dans laquelle il n’élude aucun sujet. Il est authentique, comme sa cuisine. Il aime les choses simples, comme magnifier les légumes. Il adore les vins de Bourgogne.
Depuis moins d’une semaine il est comme dans un tourbillon. Alicia, directrice de La Table du Castellet veille à le préserver. Mais c’est quand même un vent de folie qui depuis le 18 mars souffle sur La Table du Castellet. Avec 600 tables réservées en moins de 48 heures. Il n’y a déjà plus de place en avril… Et ça ne fait que commencer. Elève du Collège de la Châtaigneraie à Autun, passé par le CIFA Jean Lameloise à Mercurey, le jeune chef est désormais dans un défi permanent. Il ne lui fait pas peur.
 
 
Est-ce que vous aviez eu un indice vous permettant d’imaginer qu’on allait vous attribuer ces trois étoiles d’un coup ?
FABIEN FERRE : «Non ! Aucun indice. Il y a des fuites qui ont commencé à sortir dès dimanche. Je suis vraiment resté dans ma bulle et j’ai vraiment déconnecté, pour faire le vide…»
 
Sur le fait que vous auriez 2 étoiles ?
«Non que j’aurai trois étoiles. Si vous voulez quand j'ai repris le Castelet avec les équipes, on n'a pas travaillé pour se dire on va aller chercher trois étoiles. On a travaillé de façon libérée, on a continué bien sûr à faire ce qu'on savait faire… Avec des gens, avec des collaborateurs qui m'ont suivi, qui ont cru à mon projet. Et voilà il y avait une bonne espèce autour de tout ça, j'ai eu la chance d'avoir des talents formidables. Ils m'entourent aujourd'hui, c'est sans doute pour ça qu'aujourd'hui on est primé de 3 étoiles !»

Qu'est-ce qui vous a traversé dans votre tête quand vous avez vu ces 3 étoiles ?
«Beaucoup d'émotions. J’ai eu une pensée émue pour l'équipe, pour mon épouse Alicia qui est directrice des ventes de l'hôtel… Une pensée aussi sincère pour Christophe Baquié, parce que cette aventure de transmission de La Table du Castellet, là c'était un gros défi, c'était pas évident…»

«Christophe Baquié m'a fait confiance»
 
C’est-à-dire ?
«Je savais que j’étais attendu au tournant. Passer derrière Christophe Baquié c'était pas donné à tout le monde. Aujourd'hui j'ai la chance de bien connaître la maison, bien connaître les équipes, bien connaître les clients, l'environnement. Donc ça, ça a été une chance de pouvoir y développer un joli travail. Je pense que ça nous a beaucoup aidé.
Voilà, je suis extrêmement fier d'avoir rendu fier Christophe Baquié. Je parle encore avec un peu d'émotion parce que c'est encore trop frais. Il m’a fait confiance, il a cru en moi.
Oui il me l'avait dit avant. Mais ces trois étoiles, ça vient concrétiser un peu ses paroles. C'est magnifique. Et j'ai pu le rendre fier».
 
Comment les choses se passent depuis l’annonce ?
«Ce qui se passe, c'est assez exceptionnel. On est sur notre petit nuage, il va falloir qu'on descende. Il va falloir garder les têtes froides.
Et continuer à avancer. Oui on va continuer à avancer…»
 
Paul Boccuse, Bernard Loiseau ont dit que c’était compliqué, que c’était une pression énorme… Vous dites vous que ça va être un défi permanent ?
«De toute façon c'était déjà un défi de reprendre l'Hôtel du Castellet en 2023, donc je vais dire un défi de plus ou un défi de moins, je suis un compétiteur, je suis quelqu'un qui a fait beaucoup de rugby, à peu près 10 ans… Donc j'aime ça en fait, tu vois le challenge. Et je ne vais pas vous dire que ça ne me fait pas peur, parce que ça serait prétentieux».
 
Vous avez joué avec l’ASA à Autun. A quel poste ? A la mêlée ? A l’ouverture ?
«A l’ouverture !»
 
En charge de la stratégie donc ?
«Oui, stratège, c'est ça»
 
Et il faut être stratège quand on est un chef en cuisine ?
«Stratège, non, parce que moi je ne calcule rien. Je cuisine avec ce que j’ai… On va dire que c'est plutôt le 9 qui est stratège. Le 10, le demi d’ouverture, c'est le chef d'orchestre.
je retrouve un peu ces valeurs et c'est ce qui me motive. Mais aussi de pouvoir transmettre aux plus jeunes, aux équipes qui partagent la même vision.
Je trouve cela juste exceptionnel, voilà c'est fou».

Quand vous étiez petit, vous avez cuisiné avec votre maman ?
«J'ai beaucoup appris, j'étais curieux. Dès mon plus jeune âge j'étais déjà curieux. J'étais souvent derrière les casseroles, mais je me rappelle du gratin dauphinois»


Comment vous faites le gratin ?
«Très simple, il y a deux écoles… On prend déjà une bonne variété de pommes de terre, c'est important, pas trop sucrées, qui tient un peu à la cuisson.
Et puis après, lait, crème, noix de muscade. On appelle ça, «on fait un appareil». C'est ce qu'on dit dans le jardin culinaire, on fait un appareil. Reste crème, lait, sel, poivre, vanille, muscade, hyper important, c'est ce qui va donner un peu la valeur ajoutée à ce plat emblématique.
Et je taille mes pommes de terre de façon pas trop grosse, pas trop fine non plus, sinon ça peut jouer sur la cuisson et à la dégustation ça peut avoir un impact aussi.
Il faut un plat en terre cuite, beurré généreusement, avec un peu d'ail concassé et puis vous déposez vos lamelles de pommes de terre qui ont été préalablement épluchées bien sûr… et vous cuisez ça gentiment à 160 degrés pendant à peu près 1h45, 2h…»

Des parents «acharnés de travail»


Qu'est-ce que vous aimiez demander à votre maman ou à votre papa ?
«Mon papa cuisinait très bien, mais il avait aussi son boulot de pâtissier. Donc on n'avait pas forcément trop le temps de passer beaucoup de temps à table. Avec maman,  ils avaient beaucoup de travail, ils avaient 4 enfants aussi à gérer, donc ça ce n'est pas simple.
Et ils étaient des acharnés de travail, donc ils ont toujours privilégié le travail, la satisfaction de leurs clients, leur boutique… Mais attention, quand je dis ça, ils n'ont pas mis leurs enfants de côté, on n'a manqué de rien. On est bien d'accord hein !
Mais je pense que je me suis nourri de ça aussi, de ce travail acharné».
 
Vous aimiez être dans les pattes de votre père ?
 Oui, j'adorais. Des 4 enfants, c’est moi qui était le plus souvent avec lui. Parce que j'étais attiré par les odeurs. Ces odeurs de viennoiseries qui sortent du four. Il y avait un gâteau qui était emblématique à Autun. C'était L'idéal.
C'était un biscuit, avec une espèce de crème au beurre, avec des crèmes nougatines dedans recouvert de sucre glace. Et ça je pense que je pourrais en manger trois par jour.
Voilà c'était un peu ma madeleine de Proust à l’époque !
Pour revenir à votre question du plat qui m’a marqué dans mon enfance, je pense que c'est le poulet rôti très simple de ma grand-mère avec quelques pommes de terre autour, un jus un peu «grassouillet» qui sort du four, j'ai encore les odeurs marquées en tête. Mes grands parents avaient la chance d’avoir leur propres bêtes. Ce sont eux qui choisissaient le poulet, qui le plumaient. J'ai encore ces souvenirs dans la cave avec ma grand-mère qui plumait le poulet».
 
Il y a beaucoup d'authenticité dans tout ça ?
«Oui, j'ai voulu le perdurer en fait, je suis quelqu'un qui aime les choses simples. Comme ma cuisine c'est une cuisine simple, c'est juste des produits, je me rends à mon produit et surtout les maraichers, nos pêcheurs, nos vignerons, nos paysans qui font un travail fantastique. J'avais vraiment envie de les mettre en lumière au centre de ma table».
 
Comment vous avez-vous vécu la crise agricole ?
«Je les soutiens et je comprends aujourd'hui leurs problématiques. Je pense qu'ils ont raison de se révolter parce qu'à un moment donné, ça ne peut plus pu marcher en fait. Ce sont des acteurs de la gastronomie. Si aujourd'hui on n'a pas la chance d'avoir leurs produits en main, on ne ferait pas grand chose. Donc c'est important de défendre ces valeurs, ces causes».


Vous avez du Charolais ?
«Il m'arrive d'en mettre, mais je ne fais pas beaucoup de viande, même si j'ai une attache particulière avec la Bourgogne.
Je mets une viande dans la carte, j'ai fait le choix de faire deux expressions de menu.
Donc un qui s'appelle Expression végétale, parce que j'ai toujours aimé ce lien, cette proximité avec les agriculteurs et les gens qui travaillent pour ça. Je voulais leur rendre hommage.
Et puis il y a un menu qui s'appelle Expression Marine, parce que ça fait maintenant plus de dix ans, que j'ai été adopté Varroa. On est niché en pleine Méditerranée et ça me semblait important et cohérent de se laisser porter par la Méditerranée et par les produits qu'elle a».



1 Topininambourgs, 2 Asperges, 3 Tomates...

Les légumes que vous aimez travailler le plus, qui vous donne le plus de satisfaction ?
«J'ai fait un travail sur un légume que j'affectionne particulièrement, c'est le topinambour. C'est le topinambour parce que c'est un peu un légume oublié.
Et on a réussi avec mes équipes à lui trouver une petite piste de cuisson pour le marier avec une sauce à base d'algues, qui est extrêmement gourmande, l'envie de saucer avec du pain. Je suis assez fier de ce plat-là parce que réussir à faire passer des émotions avec ce topinambourg. C'est assez fou en fait, je suis assez fier de ça et surtout dans l'approche, de la manière en cuisine, de la manière où on taille et de la manière où on le fait déguster au client. On a l'impression que c'est un coquillage mais en fait pas du tout.
C'est bien un topinambour. Donc ça c'est assez chouette parce que si vous voulez vous avez l'illusion que c'est pas un topinambour,  mais quand vous dégustez vous retrouvez tous les traceurs de topinambour. Donc ça c'est chouette. J'aime bien l'asperge aussi. Et la tomate, et j'en passe les mœurs, et l'artichaut, enfin je crois que j'aime tout».
 
Et l'asperge, au niveau de la cuisson, vous l'aimez comment ?
«Alors légèrement croquante, légèrement. Bon déjà, si vous arrivez à la garder croquante, c'est que vous avez réussi à garder un maximum de vitamines. Quelque chose qui est tout mou, qui est surcuit, je ne ressens aucun plaisir en fait. Il ne faut pas qu'on puisse l’écraser avec la fourchette par exemple.
Moi je pars du principe que chaque légume puisse se tailler comme une viande ou un poisson. Donc l'asperge, on va prendre un couteau, on va prendre une fourchette, on va venir la couper comme si c'était une pièce de viande».


Et pour compléter le podium ?
«J’aime beaucoup la tomate. Je trouve ça assez fantastique de part les variétés.
Il y a un large panel où on peut s'exprimer de façon incroyable. Que ce soit en granités, en sorbets, en décoction, en marinade».
 
Et au niveau des poissons, qu'est-ce que vous aimez le plus ?
«J'aime bien des poissons qui sont un peu marqués, qui tiennent la route. J'aime beaucoup le Rouget, j'aime beaucoup J'ai un coup de cœur pour tout ce qui est famille du sparidae. Sa famille englobe le pagre, la dorade royale. Aujourd'hui, à la carte c'est une dorade royale de Méditerranée qu'on a...
Nos poissons que l’on gratte sur les côtes, on les fait maturer pendant plus d'une semaine, ce qui donne toute cette concentration au produit.
Ca raffermit les chairs et on essaie d'apporter un peu plus de profondeur encore au produit».
 
Votre papa est pâtissier. Vous explorez un peu la pâtisserie où comme dans tous les 3 étoiles vous laissez ça à votre pâtissier ?
«Alors déjà j'adore, j'adore tout ce qui est sucré, j'adore être fils de pâtissier, ça me semble normal. Et bien sûr que j'ai mon équipe de pâtisserie, mais j'essaie toujours de les emmener là où je veux, où je veux les emmener en fait, donc leur donner la marche à suivre, et après se sont eux qui oeuvrent et qui essayent, qui réessayent, etc.
Par exemple là on a fait un soufflet à la vanille, qui est quelque chose d'extraordinaire, qu'on vient brûler au dernier moment avec un fer à brûler pour retranscrire un peu l'idée de la crème brûlée.
Et ça on en a fait de 45 à 50, avant de sortir quelque chose de cohérent et d'abouti»

Téméraire et persévérant


Les essais c'est important ? Vous abandonnez parfois ?
«Alors je suis assez téméraire et persévérant. Persévérant dans ce que je fais. Donc quand vous avez une idée vous allez au bout. Oui, et après je me rends compte qu'au bout d'un moment, ça ne marche pas, donc il faut arrêter, il faut passer à autre chose. Mais moi j'appelle ça des chantiers, des essais c'est toujours des chantiers, il y a toujours quelque chose à retirer de ça.
C'est-à-dire que si ça ne marche pas, il faudra se nourrir de ça. Les échecs c'est fait pour se nourrir, pour avancer dans la vie. Donc, par exemple, on va partir sur une carotte de Saint-Cyr-sur-Mer magnifique, qu'on va cuire dans un jus de soupe par exemple, dans un jus de bouillabaisse, mais on va se rendre compte que ça ne marche pas. Mais par contre, ce jus de soupe, on a vu qu'il était intéressant pour travailler sur autre chose, etc. Voilà comment on avance, voilà ma philosophie. Et des fois, c'est tout pile, mais c'est très rare, ça n'arrive presque jamais.
Et des fois, on retravaille, on retravaille, ça marche, et puis des fois, on se sert de ce qui n'a pas marché pour en faire un de plus».
 
Parmi les vins de Bourgogne, qu’est-ce qui vous fait plaisir ?

«Déjà, le Bourgogne c'est ce qui me fait plaisir. Je n'ai pas forcément d'appellation à citer, mais... La Côte de nuit ? Oui Côte de Nuit j'aime beaucoup. J’aime des vins qui sont pas forcément trop tanniques, voilà. Par contre, je vais rechercher la gourmandise, ça tapisse énormément de palais.
J'aime beaucoup Vincent Gérardin, à Meurseault. il a vraiment une ligne. Mais il y a plein de vignerons en Bourgogne qui font un travail fantastique. Je suis vraiment attaché à cette région.
Ils font un boulot juste remarquable.
Je cherche la minéralité, la gourmandise.
Il y a aussi le Mâcon Cruzille de Julien Guillot. Son Manganite c'est fantastique aussi»
 
Vous avez un rêve aujourd’hui ?
«Je ne suis pas un grand rêveur. Je n'ai pas de rêve. Avec ma compagne Alicia, on s'est vraiment centré sur notre travail qui nous prend beaucoup de temps. J'ai connu, je vous l’ai dit, des parents acharnés de travail et je pense que je me suis nourri de ça.
Aujourd’hui, je pense qu'il va falloir taffer... Mais ça ne changera rien dans ma façon de faire. On ne va pas tout changer, tout révolutionner parce que ça a marché l'année dernière.
Depuis l’annonce, on se dit pourquoi je le fais ? On va garder les mêmes traceurs, les mêmes codes.
Et après, je penserai bien sûr à ma vie personnelle, parce que c'est important, il faut trouver l'équilibre entre la vie personnelle et la vie pro, si on a la force d'avoir la tête au guidon»

De la force dans le Tennis...
 
Quelque chose que vous vous accordez ?
«Le tennis. Énormément. Là c'est un peu plus compliqué en ce moment, mais le tennis, j'adore ça !»
 
Ça vous amène des idées ?
«Exactement, je trouve que c'est un sport fantastique et très mental. J'aime ça. J'ai beaucoup de mental.
Je peux perdre 5-0 et j'ai tellement de ténacité et de persévérance que je suis capable de gagner 7-5 parce que dans la vie, il ne faut jamais rien lâcher».
 
Vous avez joué au rugby. Vous êtes pour Galthié ?
«Oui, j'en suis persuadé que ça va marcher. Aujourd'hui, dans une vie, il y a toujours des rebondissements. Ce sont aussi les joueurs qui font le boulot sur le terrain. Oui, je pense que même si ça n'a pas marché à la dernière édition de la coupe du monde, j’y crois pour la prochaine. On a un vivier de jeunes joueurs professionnels qui sont juste incroyables».
 
Vous allez voir Toulon à Mayol ?
«J’y suis allé deux fois. Avec les matches le week-end,  c’est plutôt des matchs en réalité à la télé. A côté de cela j’adore la ferveur du Stade Vélodrome et j’adore l’Olympique de Marseille».
 
Quels souvenirs gardez vous de vos sorties d’enfance ?
«En vrai j'aimais bien me ressourcer, alors me ressourcer je ne me ressourçais pas parce que j'étais jeune, j'avais besoin de me dépenser, mais chez mes grands-parents.
Les voir œuvrer au quotidien, les voir travailler. On est issus du monde paysan, de l'agriculture, c'était à Boyer à côté de Tournus.
Passer mon temps avec les vaches sur les tracteurs, c'est ça qui m'animait en fait. Moi j'avais pas besoin de jouer avec mes copains au centre-ville d'Autun, je préférais passer mon temps à la campagne».


Vous êtes heureux à quelques semaines de la réouverture du restaurant avec ses trois étoiles ?
Très. Aujourd'hui on peut être fiers de ce qui nous arrive».

«Un peu fou ce qui se passe»
 
600 tables réservées en 48 heures, vous l’aviez imaginé ?
«Alors c'est compliqué, mais je l'ai connu en fait en 2018. Je savais à quoi m'attendre, mais là ça a l'air un peu fou quand même ce qui se passe. Je pense qu'il y a beaucoup de curiosités.
Arriver à faire ça, c'est pas commun, on ne va pas se mentir. Maintenant est-ce que j'aurais pu imaginer ça un jour ? Je ne pense pas. Quand je suis arrivé au Castellet il y a 11 ans, je me suis pas dit tu finiras au bout de ta première année en tant que chef 3 étoiles. Personne pouvait imaginer ça… Mais en tout cas c'est bien là, c'est bien écrit et bien sûr que je suis fier. Aujourd'hui, heureusement, je reste humble...»
 

Vous avez réussi à avoir vos parents au téléphone après l’annonce ?
«Oui, bien sûr. Mais le lendemain, parce que dès l'annonce, j'ai été alpagué par les journalistes. J'ai fait des interviews pour plusieurs chaînes, je crois qu'on a un plateau télé bientôt qui se profile. Voilà, ce qui vous tombe dessus c'est un tsunami, personne n'est prêt pour ça aujourd'hui. Personne ne peut être prêt, c'est pas possible, même si vous êtes coaché, conditionné, je n'en sais rien, ce qui n'est absolument pas mon cas. J'ai la chance d'être entouré par des gens formidables encore une fois, mais personne ne pouvait rêver ça de nous en fait. Parce que c'est rare. Alors oui mes parents étaient évidemment très fiers…»
 
Qui était le plus ému ?
«Je pense que les deux l’étaient. Ma mère est plus expressive. Mon père est un peu plus introverti. Gros travailleur, mais plus introverti. Maman est plus expressive. Oui, oui, bien sûr, aujourd'hui c'est quelque chose qui marque».
 
Vous avez pleuré ?
«Je ne suis pas connu pour être quelqu'un qui pleure assez facilement, même si c'était franchement incroyable.
Je n'ai pas eu le temps vraiment, vous savez vous prenez des uppercuts, vous en prenez un paquet en moins de deux secondes et vous n'avez pas le temps de voir ce qui se passe. Vous voyez 1500 personnes devant vous comme ça, vous avez des grands noms, vous dites bonjour à des grands noms, la gastronomie française telle qu'est Alain Ducasse et tous les autre…
Enfin, il faut être costaud quand même».

«Tellement c'est bienveillant, je n'arrive pas à mettre des mots»
 
Le message le plus fort que vous avez reçu ?
«En fait, il n'y a pas un message plus haut, plus fort que les autres. Le plus touchant, le message peut-être d'Arnaud Donckele, qui m'a dit «j'ai eu la chance moi aussi de connaître ça à 35 ans, et ce qui va t'arriver c'est sans doute très fort, mais ça n'est pas dû au fruit du hasard, c'est certainement de ton intelligence et ton talent. Maintenant, je serai là si tu as besoin. Je vous dis le message comme je l'ai dit : je serai là si tu as besoin, appelle-moi quand tu veux.
Et voilà, donc ça c'est des moments forts parce qu'aujourd'hui, moi le petit bourguignon de 35 ans, recevoir des messages comme ça, aussi touchants et émouvants, c'est très très fort… Je n’arrive même pas à mettre des mots dessus, tellement c'est bienveillant envers moi en fait. Voilà. J'ai l'impression que c'est un père qui veut prendre son fils .. Et ça, ça nous touche. Comme Christophe m’a touché…


Dans votre parcours, qu’est-ce qui vous a marqué le plus depuis que vous êtes entré en cuisine ?
«Le travail des acidités chez Troisgros. Cela m’a beaucoup marqué dans ma jeune carrière, et c'est un peu maintenant la ligne conductrice de ma cuisine. J'ai mon armoire, j'appelle ça mes bébés un peu, où je fais tous mes vinaigres !»
Alain BOLLERY
(© Photos Manon BOLLERY)